Brève histoire du piano jazz

Le piano est l’instrument qui accompagne l’une des premières formes du jazz ; le « rag time ». Ce genre musical, dont le pianiste et compositeur Scott Joplin restera le plus célèbre représentant, apparaît à la fin du 19eme siècle, dans les bars ainsi que dans les lieux de prostitution.

Pour accompagner, leurs propres improvisations ou celles des autres instrumentistes, les pianistes de cette époque font « la pompe ». Ce principe est directement issu de la façon dont la main gauche procède dans les rag times, en alternant régulièrement sur chaque temps, une note de basse et un accord.

Le style « Nouvelle-Orléans », dans les années 1920, est en fait l’évolution du rag time vers l’improvisation. Son grand représentant est Jelly Roll Morton, qui enregistre en solo dès 1923. Parallèlement se développe l’école new-yorkaise des pianistes « stride », que l’on peut décrire comme étant les adaptateurs du ragtime, avec cette même main gauche en « pompe », en une forme plus libre et plus souple dans laquelle l’improvisation va, là aussi, prendre une part importante. Fats Waller restera le plus célèbre pianiste de cette école.

Dans les années 1930, Art Tatum préfigure avec génie et virtuosité l’harmonie moderne, en introduisant les accords de passages, c'est-à-dire hors tonalité, dans un jeu encore très influencé par le style stride. Avec les années bebop, qui commence à la fin de la seconde guerre mondiale au Etats-Unis, apparaissent de grands pianistes : Thelonious Monk va faire beaucoup évoluer le langage harmonique, rythmique et mélodique. Bud Powell sera, avec le saxophoniste Charlie Parker, l'un des inspirateurs de ces nouveaux phrasés virtuoses qui caractérisent le bebop. Cette période va révolutionner le langage pianistique. Parmi les "bopers" du clavier, nous pouvons aussi citer John Lewis, Duke Jordan et Al Haig.

Parallèlement Milt Buckner met au point, au début des années 40, une nouvelle technique de jeu en accords: les "blockchords". Cette technique consiste à "coller" l'harmonie à la mélodie, pour que ces deux éléments ne fassent plus qu'un. Dans les années 50, les grands pianistes que sont Oscar Peterson et George Shearing, commencent à connaitre le succès. Oscar Peterson (1925 - 2007) influencera beaucoup à l'évidence le pianiste Monty Alexander, ainsi qu'un grand nombre de jazzmen, par sa virtuosité, son inventivité, et par la maitrise exceptionnelle de son phrasé swing. C'est à cette époque qu'une pléiade d’autres grands pianistes apparaissent aux États-Unis : Cedar Walton, Bobby Timmons, Wynton Kelly, Sonny Clark, Horace Parlan, Horace Silver, Red Garland.

Vers la fin des années 50, Miles Davis remarque le jeune Bill Evans (1929 - 1980) qui deviendra l'un des pianistes les plus importants de l'histoire du jazz. Il commence à jouer et enregistrer en 1954, avec des orchestres new-yorkais, tout en prenant des cours de composition à la Mannes School of Music. Il devient rapidement un des musiciens de studio les plus demandés. De nombreux jazzmen comme Don Elliott, Charles Mingus, Eddie Costa, Helen Merrill, Jimmy Knepper font appel à ses services. Puis il participe, auprès de Miles Davis, au très célèbre album "Kind of Blue" en 1959. La même année verra la naissance de son trio mythique qu'il forme avec Scott LaFaro, et le batteur Paul Motian. Son approche pianistique souvent qualifiée de « romantique » visiblement inspiré de Fauré, Ravel, Rachmaninov, Chopin ou Scriabine, son art novateur du voicing, son sens du rythme, de la mélodie, sa sensibilité et son toucher, font ce pianiste un artiste de génie.

Dans les années 60, les pianistes Herbie Hancock et Chick Corea commencent leur grande carrière. Ils vont beaucoup faire évoluer l'approche pianistique du point de vue harmonique, rythmique, mélodique et stylistique. Ils utilisent des claviers aux sons nouveaux pour l'époque, type Fender Rhodes, synthétiseurs ou encore le clavinet. Leur style musical évolue rapidement vers le jazz modal, jazz fusion, jazz rock et jazz funk. Ces pianistes, immenses créateurs, sont à l'heure actuelle devenus de véritables références dans le monde du jazz.

Au piano, le son n'est pas déterminé d'avance, contrairement à ce que l'on pourrait penser. Le toucher du pianiste est déterminant dans le son produit par cet instrument. L'articulation du doigt, la souplesse du poignet, le poids de l'avant bras et du bras, la rapidité d'attaque de la touche par le doigt sont des éléments qui interviennent dans le timbre du pianiste, et donc le son du piano. Bien évidement les pianos ont aussi leur timbre propre, différent selon les modèles et les marques d'instruments. Quel que soit le timbre de base du piano, les grands pianistes comme Keith Jarrett le façonnent avec leur propre toucher et y impriment leurs propres couleurs.